Les fruits oubliés du terroir : le pari audacieux de la distillerie artisanale de Saint-Chinian

16 avril 2025

Une quête d'identité : renouer avec le patrimoine fruitier local

La distillerie artisanale de Saint-Chinian a vu le jour avec une ambition claire : faire rayonner le goût des terres languedociennes dans chaque bouteille. Mais le pari des fruits oubliés ne s'est pas imposé immédiatement. C’est en cartographiant les vergers historiques et les anciennes traditions agricoles locales que les fondateurs ont découvert un trésor méconnu, presque enfoui sous les écorces du temps : les fruits anciens, ces variétés issues d’un patrimoine à la fois agricole et culinaire unique.

En Occitanie, on recense plus de 120 variétés de fruits locales, souvent plantées au siècle dernier sur des petites parcelles familiales. Parmi elles, citons la senyoret, une ancienne variété de prune endémique, la figue longue de Solliès, ou encore les pommes-raines (pommes de Reinettes). Ces fruits, parfois jugés « démodés » dans une agriculture aujourd’hui standardisée, regorgent pourtant de saveurs complexes, bien différentes des variétés modernes calibrées pour le commerce de masse.

Pour Jean-Luc Perrier, cofondateur de la distillerie artisanale, retrouver ces fruits, c’est « ménager un pont entre passé et avenir : utiliser ce que la nature locale nous a offert pour créer des eaux-de-vie modernes, mais fidèles à une histoire. »

Pourquoi choisir les fruits oubliés pour la distillation ?

Choisir des fruits oubliés présente des défis techniques, mais aussi des atouts gustatifs rares. Contrairement aux fruits standardisés, sélectionnés pour leur productivité ou leur résistance au transport, ces fruits anciens privilégient la qualité aromatique. Voici les principales raisons qui expliquent cet engouement :

  • Une complexité aromatique unique : les fruits anciens, souvent ramassés à pleine maturité sur des arbres non traités, renferment une palette de saveurs étonnante : notes florales, acidité marquée, sucrosité rustique. À titre d'exemple, la prune de Saint-Martin, à la chair juteuse et sucrée, confère aux eaux-de-vie des arômes de miel et de fruits secs.
  • Le respect des cycles naturels : nombre de ces fruits sont issus d’arbres rustiques, parfois oubliés dans des vergers sauvages. Ces variétés s’intègrent dans une démarche écoresponsable en évitant à tout prix le recours à des traitements chimiques.
  • Créer des produits d'exception : l'engouement pour les produits d'artisanat authentiques a redonné de la valeur à ces fruits anciens : utiliser une mirabelle sauvage ou une poire de Calabert dans un spiritueux attire des amateurs à la recherche de goûts singuliers et d’histoires à déguster.

L’aspect éthique ne doit pas être sous-estimé. En collaborant avec des producteurs et des agriculteurs locaux, la distillerie contribue à valoriser et maintenir des vergers anciens, souvent menacés d’abandon ou de disparition pure et simple.

Le patient travail au cœur de l'alambic

La distillation des fruits oubliés demande une connaissance pointue et une attention constante. Contrairement à des fruits plus classiques, dont la transformation est bien documentée, ces variétés réclament souvent des ajustements en fonction de leur sucre, de leur taux d’acidité ou de leur volume disponible d’alcool potentiel. Cela commence dès la fermentation, une étape clé durant laquelle les sucres des fruits se transforment en alcool sous l'effet des levures.

Prenons l’exemple des sorbes, issues du sorbier domestique, un arbre que l’on retrouve parfois en altitude autour de Saint-Chinian. Ces petites baies doivent être surmaturées et légèrement flétries avant d’être exploitées. Leur amertume naturelle se transforme en un liquide doré légèrement miellé après distillation. L’alambic devient alors un véritable atelier de couture : chaque lot est ajusté avec précision pour respecter la typicité du fruit.

Portrait d'une bouteille : la poire « Cloche d’or » revisitée en eau-de-vie

Une des créations phares de la distillerie est une eau-de-vie de poire réalisée à partir de la variété ancienne « Cloche d’or ». Autrefois très cultivée dans le sud du Massif central, cette poire à la peau fine et dorée n’est plus que rarement plantée aujourd’hui. Sa saveur ? Une explosion de fraîcheur fruitée, avec des touches légèrement musquées.

La distillerie a choisi un processus entièrement artisanal : un double passage dans un alambic en cuivre à repasse, pour sublimer les arômes tout en éliminant les impuretés indésirables. Le résultat est une bouteille élégante, où chaque gorgée rappelle les vergers d’autrefois.

Un avenir prometteur pour les fruits rares

L’engouement autour de ces produits ne montre aucun signe de ralentissement. Aujourd'hui, les consommateurs se tournent de plus en plus vers des spiritueux qui racontent une vraie histoire. Si la distillerie artisanale de Saint-Chinian continue de miser sur cette démarche singulière, elle pourra s’inscrire durablement dans une tendance où authenticité et savoir-faire local priment sur la standardisation.

Pour aller encore plus loin, la distillerie ne se contente pas de produire : elle sensibilise aussi ses visiteurs. Les visites guidées incluent souvent des dégustations racontées des fruits utilisés et des détails sur leurs origines. Une manière d’éveiller les esprits (et les papilles) à la richesse d’un patrimoine parfois trop longtemps ignoré.

Finalement, avec ses bouteilles de fruits oubliés, elle ne distille pas seulement des arômes, mais bien une mémoire vivante, celle d’un Sud qui se réinvente avec, en main, ses plus beaux trésors du passé : une prune, une poire ou une figue.

En savoir plus à ce sujet :